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Récit de ma migration
7 octobre 2013

Au départ

Il y a un mot que j'aime bien, mais n'ai pas souvent l'occasion de l'utiliser, c'est : translater. En physique, ça désigne grosso modo le déplacement d'un objet sans qu'il n'y ait de modification de sa trajectoire. 

C'est exactement ce que j'ai ressenti quend j'ai quitté la France  pour venir vivre ici au Québec en mai dernier, j'ai eu le sentiment de m'être translatée. Bizarrement, alors que je changeais de continent, je ne ressentais pas de rupture, de changement de cap. Je poursuivais toujours la même chose, et ça m'avait amenée ici. Pourtant, il y en avait bien eu des ruptures dans ma vie !...

Pour le service de l'immigration, j'ai dû faire la liste de toutes les adresses où j'avais vécu depuis mes 18 ans !!! Je suis arrivée à la faire ! Il y en avait eu 10. Un changement d'adresse, c'est souvent un changement de vie. Ça a souvent été le cas. En postscriptum de ce message, vous allez trouver un texte que j'ai été amenée à écrire, quelques temps avant mon départ de Paris pour l'atelier d'écriture que je venais de découvrir. C'est le choc, la stupéfaction, que j'avais ressenti quand j'avais quitté l'Essonne pour Paris. 

Mais là, en quittant Paris pour le Québec, rien de particulier jusqu'à maintenant, et pour une bonne raison : ça fait plus de 10 ans que je partage ma vie entre Paris et le chalet des Laurentides : les mois d'hiver à Paris et ceux d'été au chalet. Octobre arrivant, je repartais pour Paris. Donc, c'est maintenant que nous venons d'entamer le mois d'octobre que ma vraie immigration commence. C'est pourquoi j'ai envie de commencer ce blog pour tenter de jalonner les stades de ce processus qui m'a toujours intriguée, fascinée, qui est celui de l'émigration et de l'immigration. J'aurais pu noter ça sur un cahier. Un blog, c'est en outre un moyen de raconter sans vergogne tout ça en direct avec ceux qu'on a quitté, et ceux que l'on découvre.

Post-scriptum : Paris lave plus blanc

Je n’aimais pas vraiment les villes, elles ne me mettaient pas suffisamment en confiance pour avoir envie d’y vivre. Dans ma petite enfance, j’avais vécu à la campagne, dans la plaine du Vaucluse. Je garde encore à vif sous la peau le souvenir du soleil qui brûle tout en été, la fraîcheur de l’eau de la Sorgue, l’ombre violette des platanes, l’eau gelée des fontaines en hiver, le Mistral qui balaye tout. J’étais très seule, et c’est avec eux que j’ai passé mes premières années.

 

J’avais neuf ans lorsque j’ai vraiment commencé à vivre avec mes parents, et c’était en plein cœur d’Avignon, la ville. J’avais attendu ce moment avec fébrilité, vivre avec ses parents, une famille comme tout le monde, mais ça ne se passait pas comme si longtemps je l’avais imaginé. En outre, dans le réseau des relations sociales, nous n’avions pas de place bien définie : ni prolos, ni aristos, ni bourgeois. Bref, tout allait de travers, et la douleur a alors laissé ses stigmates.

 

Par la suite, le hasard a toujours fait que je me suis retrouvée à la périphérie des villes, là où elles commencent à se désagréger dans la nature. Lorsque avec mon mari nous avons dû venir nous installer dans la région parisienne, c’est tout naturellement en banlieue que nous nous sommes retrouvés, le long de ce qui s’appelait alors la ligne de Sceau : Antony, Gif. J’aimais les maisons en meulière, l’herbe haute en été dans les prés de la Mérantaise, les forêts dont les arbres commençaient derrière la maison… C’est aussi là que nous nous sommes séparés, je suis partie à Lozère, une autre station de ce qui était devenu le RER B.

 

Paris, c’était pour sortir le soir, aller au cinéma, voir les amis qui s’y étaient installés, un autre monde. Depuis la banlieue, Paris a un peu la même aura que celle dont la paraient les gens de province dans une relation attirance-répullsion : on enviait  l’aisance des parisiens qui nous apparaissaient à la fois gouailleurs, libres et élégants tels que je les avais toujours vus depuis mon enfance. 

 

Vint le moment où, ma fille ayant pris son envol, plus rien ne me retenait en banlieue. L’homme qui partageait mon existence habitait Paris. Et voilà qu’un beau jour, on me propose de visiter un appartement à louer à Paris. C’était le mois de juin, le moment où tout est beau, la ville autant que la campagne… La visite terminée, je suis conquise à la fois par l’appartement et par le quartier, ne sais que choisir… Paris finalement.

 

Paperasses, déménagement, avant même de faire les travaux nécessaires, je m’installe. Les premiers jours, ou bien les premières heures ? quelque chose comme un sentiment de gêne : est-ce que je fais vraiment partie de cette communauté ? La question a vite été résolue : je m’aperçois que la porte de l’immeuble passée, arrivée au carrefour Convention, tout devient spectacle pour moi. J’étais fascinée et je suis resté fascinée par cette ville. Pendant un temps même, mon compagnon en avait pris ombrage. Je me souviens aussi des retours de banlieue dans le RER, après les visites à la famille et aux amis. Au moment du passage du périphérique, une sorte de flash s’imprimait dans mon esprit « Paris lave plus blanc ».

 

Bien sûr, je me suis interrogée sur cette fascination. Ce que j’aime dans Paris, c’est la rue, la gueule des gens dans la rue. Ici, ils se laissent regarder, et sur chaque visage, on lit tout un roman. Et il y en a tant qui défilent. On peut se fondre dans tous ces romans où les douleurs de mon existence passée trouvent bizarrement leur place, et disparaissent. J’aime encore plus le métro, comme s’il renfermait tous les musées à lui tout seul. Dans le métro, pour une raison qui m’échappe, plus personne ne joue de rôle, comme au café ou au restaurant, les visages s’abandonnent complètement. Les expressions émergent à cru.

 

Pourquoi je raconte tout ça maintenant ? Je vais quitter Paris pour un retour que je pense être définitif (à mon âge !) à la campagne. J’ai longuement hésité à prendre cette décision. Mais je me trouve maintenant complètement apaisée pour pouvoir le faire.

 

 

 

 

 

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Commentaires
T
Très intéressant ma chère! J'aime cette 'translation', en tant que physicien...
Récit de ma migration
  • J'ai décidé de quitter Paris pour vivre dans les Laurentides. Quelle histoire ! Ce blog est destiné à être pour moi comme le fil rouge d'une rive à l'autre de l'Atlantique. Il s'adresse à ceux qui, comme moi, ont envie d'en savoir plus sur cette aventure.
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